Ascension aux sources du génie

Samedi 1er juin, le public se presse devant la Bergerie Auditorium du Domaine de George Sand (Centre des monuments nationaux) pour assister au concert d’ouverture du Nohant Festival Chopin 2019.

Sur scène, Yves Henry, le président du Festival, Sylviane Plantelin, la vice-présidente et Jean-Yves Clément, le directeur artistique, commentent le thème de cette 53e édition, « Frédéric Chopin et l’exil romantique ». Emus et heureux de retrouver le fidèle public de Nohant, ils saluent également les personnalités de la région présentes parmi lesquelles Jean-Luc Meslet, l’administrateur du Domaine de George Sand, Thierry Bonnier, le préfet de l’Indre et Serge Descout, le président du Conseil départemental de l’Indre ainsi que les membres du Cercle des Amis qui apportent leur soutien au Festival.

Yves Henry a prévu pour ce premier week-end de commémorer un anniversaire important : 180 ans jour pour jour, l’arrivée de Chopin à Nohant le 1er juin 1839 après un périple majorquin qui avait mis à rude épreuve la santé et les nerfs du compositeur. Jean-Yves Clément souligne : « Nohant est une espèce d’île close où Chopin a trouvé espace et sérénité pour composer ses chefs d’œuvre ». C’est en effet à Nohant que le musicien écrira, durant les sept étés qu’il y passera, la plus belle partie de son œuvre.

Pour célébrer ce moment, des œuvres écrites à Nohant seront jouées sur un piano Pleyel 1846 de même facture que ceux sur lesquels Chopin composait, permettant ainsi à l’auditoire de retrouver, au plus près, la palette du Maître, qui plus est sur le lieu même d’inspiration. La lecture de lettres de Chopin et Sand sur leur vie à Nohant complètera cette évocation musicale. Ceci posé, fallait-il encore trouver les interprètes ! Pour cela, les meilleurs !

Par la grâce du premier Concours international Frédéric Chopin sur pianos d’époque de Varsovie qu’il a remporté, c’est à un jeune pianiste polonais, Tomasz Ritter, qu’est revenu le redoutable honneur de servir cet hommage et d’ouvrir le Festival. Cet artiste de 24 ans a ainsi délivré un programme extrêmement bien construit : Deux Polonaises n° 1 et 2, op. 26, Quatre Mazurkas op. 33, le Nocturne n° 1 op. 48, la Ballade n°4 op. 52 et pour terminer la Sonate n°3 en si mineur op. 58.

A travers les méandres les plus subtils de ces œuvres, le jeune pianiste a guidé avec brio l’auditoire vers une autre dimension, celle du génie. Saluons l’énergie, la maturité et la profondeur de ce pianiste dont la vocation de jouer sur piano d’époque est venue à 11 ans après avoir joué un pianoforte Jakob Weimes 1807. Par une autre grâce, cet instrument – qui a servi au tournage du film Amadeus -, sera installé à Nohant la semaine prochaine.

Pour la lecture des lettres de Sand et Chopin depuis Nohant, Marie Christine Barrault alias George, Présidente d’honneur du Festival, donnait la réplique à Robin Renucci, alias Frédéric. Tout en humour et en subtilité, ce duo a fait revivre le quotidien des deux artistes à Nohant : les invitations pressantes à leurs amis, leurs chamailleries épistolaires, la mauvaise santé de Chopin, les soucis domestiques dont les disputes entre le serviteur de Frédéric et la cuisinière de George, une livraison de piano qui se fait attendre ou bien pire encore, la réception d’un instrument de mauvaise facture… Et surtout l’âme tourmentée et atrabilaire de Chopin qui se plaint à sa famille de n’avoir composé « que » la Sonate en si mineur ( !) tout en assénant rageusement un définitif : « Je n’aime pas la vie à la campagne ». Finalement, un génie n’est peut-être qu’un perpétuel exilé.

C’est justement avec cette sublime Sonate en si mineur n° 3 magistralement interprétée que Tomasz Ritter a conclu ce récital, salué chaleureusement à la fois sur la scène par les deux comédiens et dans la salle, par une standing ovation enthousiaste du public de Nohant, un des plus curieux et perspicaces quant au talent des artistes.

Le lendemain un concert était dédié aux deux Concertos de Chopin dans leur transcription pour piano et quatuor à cordes. Aux commandes du Pleyel 1846, les Deuxièmes Prix ex aequo du Concours international Frédéric Chopin sur pianos d’époque de Varsovie à savoir le japonais Naruhiko Kawaguchi dans le 2e Concerto puis Aleksandra Swigut, polonaise elle aussi, dans le 1er Concerto, tous deux accompagnés par les jeunes musiciennes du Quatuor à cordes Akilone. Un grand moment de poésie, avec deux interprétations différentes, plus engagée et personnelle, chez Naruhiko, plus romantique et cantabile, chez Aleksandra, mais toutes deux excellentes et largement saluées.

A l’issue de ce concert, pour reprendre une des expressions favorites de Robin Renuci, c’était « joyeux » de voir sur scène tous ces jeunes artistes saluer le public dont les applaudissements se transformaient en véritable ode à la jeunesse. In fine, Chopin n’avait pas vingt ans quand il a composé ces deux chefs d’œuvre !