La « Ferveur romantique » au domaine de George Sand

La « Ferveur romantique » au domaine de George Sand

Samedi 4 juin, premier jour du Nohant Festival Chopin 2022. Yves Henry, le président, Sylviane Plantelin, la vice-présidente, Jean-Yves Clément, le conseiller musical et littéraire, l’équipe, les bénévoles, chacun est à pied d’œuvre pour accueillir les artistes et le public de cette 56e édition placée cette année sous le signe prometteur de la « Ferveur romantique ».

Romantique Chopin ?

Nicolas d’Estienne d’Orves aime le décalage. Bienvenue à Nohant, il sera dans son élément. L’écrivain et journaliste, spécialiste de l’opéra, fait étape pour la première fois au festival à l’occasion de la causerie-rencontre animée par Jean-Yves Clément sur le thème « Romantisme et légèreté ». L’écrivain inaugure la séance par une envolée lyrique sur les lieux : « un écrin aux ondes magiques, celui d’une France rêvée qui n’a pas bougé, évoquant à la fois la douceur, l’apaisement, la réassurance, le matriciel, la simplicité, un lieu où chaque mur de pierre est le début d’un roman ». Gageons qu’en cet instant, Elisabeth Braoun, l’administratrice du domaine de George Sand (Centre des monuments nationaux), est aux anges en compagnie de Sand, Chopin, de leur kyrielle de prestigieux invités mais aussi des organisateurs du festival aussi fiers de la programmation que du lieu unique en France (voire au monde !) où se déroule l’événement.

Après ce bel hommage, place au thème : le romantisme. Une énumération à la Prévert tente de cerner le phénomène : un nouveau rapport au monde, le sentiment avant toute chose, la passion qui aboutit à la création, la nature mais aussi le bruit et la fureur, corollaires du nouveau statut des artistes, des personnalités pour la plupart bien trempées. Nicolas d’Estienne d’Orves souligne l’humour et la provocation qui affleurent chez les romantiques, plus particulièrement chez les compositeurs d’opéra. Il cite ainsi Rossini (Beethoven lui signifia de ne surtout pas « forcer sa musique » avec des choses plus sérieuses) et Offenbach, l’un et l’autre ayant donné, entre facéties et provocations, quelques superbes pages aux accents romantiques. L’écoute d’un duo du Comte d’Ory et de la Barcarolle des Contes d’Hoffmann régale l’auditoire. Sont évoqués également Reynaldo Hahn, Richard Strauss et des compositeurs de musique de films qui aujourd’hui reprennent le flambeau du romantisme.

Et Chopin, s’enquiert un spectateur, est-il romantique ? Hésitation. Bien sûr, si l’angle choisi est l’opéra cher à l’intervenant, n’oublions pas les Schubert, Schumann, Liszt, modère Jean-Yves Clément. Mais Chopin, non, Chopin n’est pas romantique. Stupeur et tremblements, les piliers de la bergerie-auditorium chancellent. Le débat est lancé. Au final, chacun a sa conception du romantisme, nuance Nicolas d’Estienne d’Orves tout en recommandant le chef-d’œuvre absolu du romantisme selon lui : « La partie de campagne » de Jean Renoir où, nous dit-il, le cinéaste a résumé l’affaire en 30 minutes. Les curieux iront voir.

Bella pleine de grâce

L’après-midi, sur décision du ciel, le « concert au jardin » se rapatrie dans la Bergerie-auditorium. La providence étant bien faite, la conquête de ce nouvel espace permet au public d’être plus nombreux qu’initialement prévu dans le jardin. Preuve est faite par la même occasion que le chamboule-tout covidien n’a pas fait sombrer le festival dans l’oubli. Au clavier, Bella Schütz, 20 ans, une jeune pianiste, élève d’Yves Henry en son temps et actuellement de Jacques Rouvier au Mozarteum de Salzbourg. Certaines personnes ont la grâce, Bella Schütz est l’une d’elles. En plus, elle a de la chance : grâce à un ciel ombrageux, elle donne son premier récital à Nohant dans la Bergerie-Auditorium là où ont joué les plus grands, un honneur qui se conquiert habituellement blanchi sous le harnais au fil des ans. Mais la chance qui n’est peut-être que le prête-nom du travail, se mérite elle aussi. Dans le cadre du Festival « hors les murs », Bella a participé généreusement la veille à un concert privé de deux heures donné dans le Foyer d’accueil médicalisé de Saint-Maur auprès de 20 personnes en situation de handicap. Là aussi un beau moment aussi d’émotion partagée.
A la Bergerie, elle interprète successivement la Toccata en mi mineur de Bach, puis la Fantaisie en fa mineur de Chopin puis deux Nocturnes op. 62, puis la Barcarolle en fa dièse majeur, puis encore la Sonate n° 22 en sol mineur de Schumann. A son jeu fluide et lumineux répond l’admiration enthousiaste d’un public conquis. En bis, une œuvre de Scarlatti.

Ukraine

La guerre en Ukraine s’invite entre deux concerts. Dans un direct pendant le journal de 19 heures, France 3 Centre Val de Loire interviewe Yves Henry sur le Festival et le lien entre l’exil imposé aux populations ukrainiennes actuellement et le déchirement vécu par Chopin en son temps pour des raisons similaires : l’invasion de son pays par la Russie. Un reportage de présentation du Festival est diffusé le dimanche

Le 56e Festival Chopin se déroule à Nohant dans l’Indre jusqu’au 27 juillet. Itw d’Yves Henry, président du Nohant Festival Chopin.

Le Nohant Festival Chopin, dans l’Indre, a débuté, hier soir. Un extrait des images du Nohant Festival Chopin est diffusé. Reportage au Nohant Festival Chopin.

Le 56e Festival Chopin se déroule à Nohant dans l’Indre jusqu’au 27 juillet. Itw d’Yves Henry, président du Nohant Festival Chopin.

Les silences de Laloum

Le soir même, c’est le pianiste Adam Laloum qui ouvre officiellement le festival. Il délivre une Sonate n° 2 de Chopin dite « funèbre » toute en sensibilité, retenue et confidence. Son jeu invite le public à l’écoute attentive et au recueillement, à tel point que l’auditorium au grand complet retient son souffle sur l’un des derniers accords de la sonate créant ainsi un silence impressionnant, suspendu pendant quelques secondes aux mains de ce grand artiste. Puis Adam donne la Fantaisie de Chopin dans une superbe interprétation où ombres et lumières se donnent à entendre.
En deuxième partie du récital, il interprète l’ultime sonate de Schubert, la n° 2 en si bémol majeur, qui illustre à merveille les multiples facettes du romantisme évoquées en ce début d’après-midi. Et plus encore, mouvement après mouvement, au-delà de la nature profonde du romantisme, Adam Laloum nous en dévoile son indicible dans une sublime interprétation. En bis, une œuvre de Brahms

Fantasqueries bipolaires

Dimanche matin, l’auditorium accueille deux lauréats du Prix international Schumann de Zwickau : Yves Henry en son temps et le lauréat du Prix 2021, Viktor Soos, invité en tremplin-découverte.
Pour présenter le programme, Jean-Yves Clément évoque le couple Robert et Clara Schumann. « Sans Clara, pas de Robert », nous dit-il, ou « peut-être un Robert différent », soulignant ainsi la passion de ce couple mythique à la fois musical et amoureux. Il évoque aussi la fusion créatrice permanente dans laquelle évoluaient les artistes de cette époque qui se rencontraient et communiquaient entre eux « par d’autres biais que nos réseaux désincarnés, ceux du cœur », une déclaration applaudie chaleureusement par la salle. Il évoque Brahms qui sera accueilli par les Schumann puis présente les Davidsbündlertänze, notamment deux personnages emblématiques, Florestan, le bretteur, et Euesebius le romantique, qui sont « les agents secrets du compositeur dont ils véhiculent les messages cachés », mais aussi les deux faces antagoniques de Schumann « qui conduiront un jour leur créateur à s’abimer dans la nuit et le Rhin ».
Avec son allure sobre d’étudiant rigoureux, Viktor Soos présente un programme qui ne doit rien à la facilité : Trois Intermezzi de Brahms, puis deux Nocturnes, l’un de Chopin, l’autre de Clara Schumann, puis rien moins que la suite des 18 pièces bipolaires des Davidsbündlertänze de Robert Schumann. Maturité, maîtrise, jeu sobre et personnel, belle découverte pour le public. En bis, il donne une interprétation de l’Intermezzo op. 118 n° 2 de Brahms à rendre romantiques les cœurs les plus aguerris.

Echappée belle

Le public de Nohant ayant parfois du mal à s’évader de l’univers du piano romantique, Yves Henry cite Malraux pour affirmer le choix du programme de ce dimanche après-midi : musique de chambre française, Franck et Chausson : « il faut donner au public ce qu’il pourrait aimer ». Dont acte, et le public a adoré. Formidables de précision, de musicalité, habités d’une infatigable fougue, le pianiste Romain David, la violoniste Fanny Clamagirand et le Quatuor Tchalik ont enflammé l’auditorium avec le Quintette de César Franck puis le Concert d’Ernest Chausson, deux œuvres peu jouées en raison de leur difficulté. En bis de ce moment tout à fait exceptionnel, le sextuor a redonné la superbe Sicilienne de Chausson qui viendra clore en beauté le premier week-end du Festival.

Alors Chopin, romantique ou pas ?

Le week-end des 11 et 12 juin, nous pourrons interroger à ce sujet Olivier Bellamy lors de la causerie-rencontre consacrée à son Dictionnaire amoureux de Chopin. Nous pourrons aussi écouter le pianiste polonais Rafal Blechacz, Médaille d’or et trois prix spéciaux au 15e Concours international Chopin de Varsovie dans un répertoire Bach, Beethoven, Franck et Chopin. Nous ferons un crochet par la musique française avec le duo Gabriel et Dania Tchalik violon et piano, autour d’un programme musical dans l’esprit de Proust (Franck, Hahn et Saint-Saëns) et nous terminerons le week-end avec Dmitry Shishkin, Médaille d’argent au Prix Tchaïkovski 2019, un pianiste remarqué par Evgeny Kissin en personne, dans des œuvres de Scarlatti, Rameau, Scriabine et Chopin.
Et chacun se fera son idée…