L’esprit des lumières à l’hôtel de Massa

concert nohant

– de g à d : Clara Vaude, Sylviane Plantelin, Michelle Perrot, Gérald Bronner, Christophe Hardy, Ayaka Matsuda

L’esprit des lumières à l’hôtel de Massa

Sous l’égide de George Sand et des illustres fondateurs au 19e siècle de la Société des gens de lettres, qui font au sens propre « tapisserie » dans la salle de réception de l’Hôtel de Massa, les Prix Elina et Louis Pauwels 2020 et 2021 ont été décernés le mardi 7 décembre lors d’un même événement en raison d’une année blanche due au Covid.

Pour l’occasion, deux jeunes talents dont les qualités professionnelles et leur passion pour le romantisme leur ont valu de se produire à Nohant et d’intégrer la toute nouvelle Académie du Nohant Festival Chopin : la comédienne Clara Vaude et la pianiste Ayaka Matsuda, étaient invitées à lire des extraits des ouvrages lauréats ainsi que des textes de Sand, Flaubert et Hugo choisis en résonance par Yves Henry et ponctués de Nocturnes de Chopin. C’est aussi le rôle de cette Académie que de permettre à ces artistes de partager leur art avec les nombreuses personnalités présentes.

Christophe Hardy, le Président de la SGDL, ouvrait la séance en rappelant un anniversaire : les 40 ans de la loi Lang qui instaurait le prix unique du livre permettant aux éditeurs et aux libraires de proposer au public un large éventail d’ouvrages de qualité. A l’instar de ceux qui étaient récompensés ce soir-là : Le Chemin des femmes de l’historienne Michelle Perrot (Robert Laffont, collection Bouquins) et Apocalypse cognitive (Puf) du sociologue Gérald Bronner.

Présidente du jury et maîtresse de cérémonie, Sylviane Plantelin – que les festivaliers côtoient chaque année à Nohant en sa qualité de Vice-présidente du Festival – rappelait la philosophie du prix : récompenser « un essai qui manifeste un esprit d’ouverture dans le débat d’idées faisant place à la morale, l’esthétique, la philosophie, la science, la spiritualité et les questions de société, dans le monde contemporain ou dans l’Histoire ». Les deux ouvrages lauréats remplissaient parfaitement ce cahier des charges avec des sujets on ne peut plus actuels : le féminisme pour l’un et la surinformation pour l’autre.

Rappelant le brillant parcours de Michelle Perrot, Sylviane Plantelin soulignait que l’historienne s’était attachée à donner la parole à ceux qui en étaient privés. Ce qui orienta ses travaux vers l’univers des femmes dont les voix ont longtemps été étouffées ou inaudibles, à l’instar des ouvrières (ce qui aurait certainement touché Louis Pauwels issu d’une famille modeste évoquée dans son livre « Comment devient-on ce que l’on est »), prisonnières, militantes et anonymes. Sans omettre les créatrices au premier rang desquelles George Sand.

Très honorée de recevoir ce prix bien « qu’elle n’ait pas été toujours d’accord avec Louis Pauwels tandis qu’elle vouait une grande admiration à son épouse Elina », Michelle Perrot rappelait qu’un portrait de George Sand ornait autrefois le vestibule de la SGDL, soulignant qu’au fil de ses recherches, elle avait découvert une femme d’exception dont « la liberté, la vitalité, l’écriture et l’engagement l’avait intrigué et fasciné ».

Membre du jury, Sylviane Agacinski, empêchée ce soir-là, adressait un message à l’auteur : « Merci pour l’exemplarité de votre itinéraire de chercheuse et d’écrivain, pour votre générosité de citoyenne, et pour le regard neuf que vous avez porté sur les femmes ». Lecture fut faite ensuite d’un extrait d’Histoire des chambres, un essai figurant dans le Chemin des femmes.

Puis Jean Claude Bologne, ancien président de la SGDL, remettait le Prix 2021 à Gérald Bronner. Qualifiant l’ouvrage « de guide de survie dans la jungle de la surinformation », il soulignait la découverte d’un fabuleux trésor : le « temps de cerveau disponible » passé de 52 % en 1800 à 89 % aujourd’hui, l’homme ayant délégué les tâches simples. Soit un capital d’un milliard six cent trente-neuf millions d’années de temps de cerveau disponible. D’où la question : pour quoi faire ?

Très honoré lui aussi de recevoir ce prix, Gérald Bronner précisait que Le Matin des magiciens et ses réflexions sur le cerveau de Louis Pauwels, avaient orienté sa vocation de chercheur. Il rappelait qu’apocalypse signifie « révélation d’une vérité cachée » et que s’il n’y a pas de réponse toute faite devant la menace que représentent l’attrait des écrans et l’impact d’une information dérégulée sur la civilisation, il prône une anthropologie réaliste et humaniste susceptible de sauver le monde. La lecture d’un chapitre de l’ouvrage mettait en exergue un nouveau fléau de notre époque : le … « selficide ».

Pour conclure la soirée, Yves Henry, malheureusement absent ce soir-là en raison du Covid, avait orchestré une lecture musicale avec des textes rares de Flaubert, Sand et Hugo, évoquant la condition humaine et celle de l’artiste, illustrés de Nocturnes de Chopin « permettant de prolonger le pouvoir évocateur des mots par le pouvoir d’évasion de la musique ». Un moment littéraire et musical vivement apprécié d’un public attentif et conquis par l’inspiration passionnée de Clara Vaude et d’Ayaka Matsuda.

Car à l’hôtel de Massa ce soir-là, le public fut l’autre grand lauréat de la soirée. Venu célébrer les deux auteurs, il constata qu’à l’instar des grands esprits des siècles passés, des chercheurs de haut vol mais aussi des artistes s’affairent à penser le monde. Les lumières sont encore parmi nous. Surtout ne les laissons pas s’éteindre !

Nohant

– de g. à droite :  Philippe Raynaud, Sylviane Plantelin, Gérald Bronner, Michelle Perrot, François Thiéry, Christophe Hardy, Henriette Walter, Jean Claude Bologne, Hélène Renard

Crédit photo : Yann Audino