Pourvu que l’émotion vienne

Du 17 au 23 juillet s’est tenu le deuxième volet du Festival, plus spécifiquement dédié à Chopin. Voici quelques instantanés de cette semaine haute en intensité artistique et en émotions.

Citons les deux Barcarolle d’Akiko Ebi, la deuxième donnée dans un bis élargi pour le plus grand plaisir du mélomane gourmand ; la Polonaise-Fantaisie de Chopin et la magistrale Sonate n° 2 en si bémol mineur de Rachmaninov de Jean-Paul Gasparian à son meilleur

les 24 Préludes de Chopin et les Tableaux d’une exposition de Moussorgski au finale somptueusement sonnant de Louis Schwizgebel ; le toucher surnaturel de Beatrice Rana dans des Miroirs de Ravel d’une rare beauté. En point d’orgue de la semaine, évoquons Janusz Olejniczak, un des piliers polonais du temple chopinien, qui a donné un récital d’anthologie dont les Ballade n° 1 et Polonaise Héroïque pleines d’émotion et de lyrisme. Séquence émotion à la fin de son récital, avec le bel hommage rendu au Festival par ce grand habitué de Nohant : « C’est le plus beau festival Chopin dans le monde, c’est unique » dit-il. En guise d’acquiescement, le public applaudit. Puis il interprète Le Rossignol en amour  de Couperin…

Evoquons aussi le tremplin-découverte de haute tenue d’Andrei Schychko qui nous offre en conclusion Islamey – Fantaisie orientale de Mily Balakirev, un « loukoum pianistique », selon Jean-Yves Clément jamais avare de métaphores.

A la fin de ce prestigieux cortège, saluons enfin le tsar : Nikolai Lugansky dont la Ballade n° 4 de Chopin et les époustouflants Préludes de Rachmaninov resteront gravés dans les mémoires. Pour nous rafraîchir, en cette période caniculaire, il nous offre en bis un Jardin sous la pluie  de Debussy.

Rendons compte aussi des moments passés dans le ravissant théâtre italien de La Châtre en compagnie d’éminents experts de la geste sando-chopinienne qui nous embarquent à Majorque sur les pas du couple. Rosa Capplonch Ferrà, la présidente de l’association Festival Chopin de Valldemossa, nous invite à un voyage en images avec la projection d’une superbe collection inédite : les pastels et aquarelles que Maurice Sand a réalisés pendant ce séjour, une belle démonstration du talent précoce du jeune homme âgé seulement de 15 ans !

Jean-Jacques Eigeldinger en compagnie du pianiste Jean-François Antonioli, nous introduit dans l’univers énigmatique des 24 Préludes, composés pour certains à Valldemossa, « lors de ce voyage à Cythère qui aurait mal tourné », nous précise-t-il.  Après nous avoir entraînés dans la ronde des tonalités et de leurs caractères, il tente de répondre à la question de Gide : Prélude à quoi ? Peut-être à une méditation intime, avance le musicologue, tant ces morceaux lui semblent, par leur concision et leur improvisation, une introduction à l’état inspiré.

N’omettons pas non plus les masterclasses d’Yves Henry qui, mesure après mesure, dissèque l’œuvre du Maître à l’intention des trois jeunes pianistes en résidence au Festival mais aussi d’un public curieux d’entrebâiller la porte d’accès à la bible chopinienne. Commentant le fac-similé d’une partition originale du compositeur projetée sur un écran, Yves Henry traque le moindre point, la moindre liaison, la moindre pédale, et nous glisse son bréviaire : « Chez Chopin, tout est écrit.  Il ne reste plus qu’à le faire ». A bon entendeur…

Souvenons-nous aussi de Brigitte Fossey et Nicolas Vaude, l’une George Sand alias « le vieux troubadour », l’autre Gustave Flaubert, alias « Cruchard ». Les deux comédiens nous régalent des lettres de ces deux monstres sacrés de la littérature que liait une amitié profonde et généreuse. « Le vent joue de ma vieille harpe. Il a ses hauts, il a ses bas, ses grosses notes et ses défaillances, au fond ça m’est égal pourvu que l’émotion vienne… Nourris-toi des idées et des sentiments amassés dans ton cœur… », recommande George à un Flaubert en mal d’inspiration.  Ce dernier reste néanmoins campé sur les pentes ardues de ses convictions stylistiques : « J’éprouve une répulsion invincible à mettre sur le papier quelque chose de mon cœur. Je trouve même qu’un romancier n’a pas le droit d’exprimer son opinion sur quoi que ce soit. Est-ce que Dieu l’a jamais dite son opinion ? » Voilà un argument sérieux. En ponctuation de cette correspondance pleine de vitalité, Nour Ayadi, la récente jeune lauréate du Prix Cortot 2019, interprète avec beaucoup de sensibilité des œuvres de Chopin, Liszt et Schumann. La lecture se poursuit dans le parc de la Maison de George Sand, remarquablement mis en lumière pour l’occasion, lors d’une procession nocturne conduite par les Gâs du Berry. Après plusieurs stations, la promenade s’achève devant la Maison de George Sand illuminée tandis que par les fenêtres ouvertes, résonnent les notes d’une célèbre Mazurka. L’illusion est parfaite.

Le Festival s’achève par un récital Chopin donné par les trois jeunes artistes en résidence, Sayoko Kobayashi, Hirochi Tsuganezawa et Mateusz Kryzowski,  tous trois chaleureusement ovationnés par le public

En clôture, le relai est passé aux Gâs du Berry dont les vielles et les cornemuses délivrent une bourrée entrainante, scandée en mesure par le public.  Sans aucun doute, il y a des connaisseurs dans la salle.

Pour refermer cette 53e édition, il nous reste à dérouler le générique de fin.

Le Festival a accueilli (par ordre d’apparition) :

. Nelson Freire, Gautier Capuçon, Samuel Parent, Fazil Say, Francesco Piemontesi, Sergei Redkin, Bertrand Chamayou, Andreas Staier, Vadym Kholodenko, Akiko Ebi, Jean-Paul Gasparian, Louis Schwizgebel, Beatrice Rana, Janusz Olejniczak et Nikolai Lugansky.

. les jeunes talents, Tomasz Ritter, Aleksandra Swigut, Naruhiko Kawaguchi, le Quatuor Akilone, Clément Lefebvre, Iryna Kyshliaruk, Yun-Ho Chen, Gaspard Dehaene, Sélim Mazari, Andrei Schychko, Nour Ayadi, Sayoko Kobayashi, Hirochi Tsuganezawa et Mateusz Kryzowski.

. les comédiens, Marie-Christine Barrault, Robin Renucci, Brigitte Fossey et Nicolas Vaude ;

. les conférenciers Bruno Monsaingeon, Bruno Messina, Michelle Perrot, Georges Buisson, Rosa Capplonch-Ferrà, Jean-Jacques Eigeldinger accompagné du pianiste Jean-François Antonioli.

A la réalisation de cette 53e édition : Yves Henry, le président du Festival, Sylviane Plantelin, la vice-présidente et Jean-Yves Clément, le directeur artistique, sans omettre Jean-Claude André, le secrétaire général et Bertrand Périer, en charge du jeune public ainsi que l’équipe d’organisation : Adeline Rimbault, l’administratrice générale du Festival, secondée par Mathilde Michaud avec une mention spéciale aux bénévoles dont le dévouement contribue grandement à la réussite du Festival.

Remerciements à Jean-Luc Meslet, l’administrateur du Domaine de George Sand (Centre des Monuments nationaux) qui accueille le Festival chaque année dans ce lieu magique et incomparable, ainsi qu’aux partenaires qui concourent au développement du Festival et à ses actions en faveur des jeunes musiciens.

Et aussi merci au public, fidèle et connaisseur, qui sait si bien se mettre au diapason des artistes pendant les concerts pour atteindre ces merveilleux moments « hors du temps » que le pianiste Jean-François Antonioli  définit ainsi : « le musicien se projette simultanément dans une dimension tridimensionnelle, le présent, ce qu’il est en train de jouer, le futur, ce qu’il va jouer et le passé, ce qui est écrit. Quand les trois se combinent, on atteint à une dimension sensible au public… l’éternité. »

L’éternité, rien de moins !