Si Chopin m’était conté…

Si Chopin m’était conté…

Le Château d’Ars s’était paré de ses atours d’automne les plus flamboyants pour accueillir « La Nuit Chopin » qui commémore chaque année le décès du compositeur survenu dans la nuit du 16 au 17 octobre 1849. Durant tout un week-end, Yves Henry, le président du Nohant Festival Chopin, entouré de Sylviane Plantelin, la vice-présidente et de la jeune troupe de l’Académie du Festival, conviait le public à une immersion romantique dans la vie et l’œuvre du musicien.

Vendredi soir, un spectacle musical et littéraire « Pauline Viardot chez George Sand » ouvrait la séquence. Des extraits de lettres et d’articles, tour à tour évocateurs, amusants, émouvants, étaient portés par la verve pétillante de deux jeunes comédiens, Clara Vaude, alias George et Tristan Le Doze, alias Pauline.  Dans leur correspondance, « Chère Ninoune » (George) et « Ma bienaimée Fifille » (Pauline) déroulent ainsi petites et grandes choses de leur vie et de celle de Frédéric Chopin, centre de toutes les attentions des deux amies : l’estime mutuelle que l’on se porte, la garde à Nohant de la fille de Pauline partant en tournée, le trac de Chopin à la perspective d’un concert… Le récit judicieusement rythmé de ces dix années d’amitié, allant de 1839 au décès du compositeur en 1849, était illustré musicalement par des Valses de Chopin, jouées par Yves Henry sur un piano Pleyel 1847 ainsi que des airs de Pauline Viardot et de son répertoire, interprétés par Cyrielle Ndjiki Nya, une jeune soprano dont le public sut apprécier la sensibilité et la puiss

George assure Pauline de l’admiration que Chopin et elle portent à son talent

Jamais avare de détails, George Sand explique à son amie Pauline la façon la plus simple (!) de se rendre à Nohant)

Le samedi matin, Yves Henry délivrait une masterclasse. Sur le métier, la Polonaise Fantaisie en la bémol majeur et au clavier du piano Pleyel 1847, la pianiste Nour Ayadi (première Prix Cortot féminine de ce concours à l’âge de 20 ans) pour un exercice complexe : redécouvrir la sonorité authentique de l’œuvre de Chopin afin de la reproduire sur un piano actuel. Un travail d’orfèvre qui requiert patience, précision et une grande musicalité, ce dont Nour Ayadi ne manque pas comme le public le constatera le soir même.

En soirée, se succédaient trois concerts ponctués d’un dîner romantique. En première partie, la violoncelliste Astrig Siranossian (l’une des jeunes étoiles du violoncelle français plébiscitée par les plus grands orchestres), le violoniste Thomas Lefort (l’un des six finalistes du Concours international Isaac Stern de Shangaï en 2022) et Yves Henry au piano interprétaient plusieurs œuvres dont le remarquable Trio en ré mineur, op. 11 de Fanny Mendelssohn, une œuvre peu souvent jouée bien qu’inspirée et novatrice. Ce soir-là, la compositrice fut honorée à la hauteur de son talent grâce au jeu fervent et complice des trois artistes et l’accueil chaleureux du public à cette œuvre injustement méconnue. 

Après un dîner convivial et savoureux, le public retrouvait Nour Ayadi, pour une Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur de Chopin, jouée cette fois-ci sur piano Pleyel contemporain – la grande marque de facteur de piano se relance -. Puis venait une interprétation époustouflante des Etudes symphoniques de Schumann en ut dièse mineur, 12 « petites » pièces par la taille mais « grandes » par les difficultés techniques instillées par le génial compositeur à l’inspiration bipolaire. Avec maturité, grâce et puissance, Nour Ayadi se joua des contrastes de cette œuvre complexe, entraînant un public admiratif dans ses méandres. Après ces émotions extrêmes, elle offrait en bis un rafraichissant de Rameau.

Nuit Chopin Nour Ayadi

Mais l’hommage à Frédéric Chopin eut été incomplet sans l’interprétation de la dernière œuvre que l’artiste composa à Nohant, la Sonate pour violoncelle et piano en si mineur. Contrairement à sa première exécution en 1848 où jugeant le premier mouvement jugé trop avant-gardiste, Chopin et Franchomme l’avaient passé sous silence, Astrig Siranossian et Yves Henry jouèrent in extenso ce pur chef-d’œuvre. L’émotion était au rendez-vous, qui ne fit que s’amplifier avec l’interprétation du Nocturne en ut dièse mineur posthume de Chopin arrangé pour violoncelle et piano, et de sa dernière Mazurka, jouée par Yves Henry, une œuvre que le compositeur n’eut pas la force de terminer.

Le dimanche matin, l’ardeur du soleil s’accordait parfaitement avec la tonalité du brunch musical organisé autour du thème : « Chopin et l’Italie ». Le compositeur ne s’est jamais rendu dans ce pays (si ce n’est un léger crochet par Gênes à son retour de Majorque) mais chacun sait que l’Italie même rêvée est la vraie patrie des artistes. Elle le fut aussi pour Chopin grand amoureux du bel canto, qui s’inspira du chant des gondoliers vénitiens pour composer l’un des sommets de son œuvre : la Barcarolle. Un exceptionnel florilège musical d’inspiration italienne, tour à tour jubilatoire et émouvant, attendait le public : ouverture et finale de la Symphonie italienne de Félix Mendelssohn joués à 4 mains par Nour Ayadi et Yves Henry ; l’Adagio initial de la Partita en ut majeur de Bach par Thomas Lefort ;  la Barcarolle de Chopin par Yves Henry ; le  Dante des Années de Pèlerinage de Liszt par Nour Ayadi, puis des airs de Paradies, Bellini, Simonetti, Martini et Scarlatti.

Entre ces œuvres, l’excellent diseur de bonne littérature, Alain Carré, interprétait des poésies, entre autres des sonnets de Pétrarque et Du Bellay. Après un brunch revigorant, l’heure fut à la détente. Le public apprécia l’audace des extraits des Mémoires de Casanova, « le premier des aventuriers »  selon Musset qui s’y connaissait bien, délivrés avec un humour gourmand par le comédien. Une lettre apocryphe de Berlioz à « Chopinetto » sous la forme d’un corbeau et d’un renard  en italien de cuisine finit de combler l’assemblée.

Citons une lettre de George Sand à Albert Grzymala, ami de Chopin, lue lors de ce spectacle. L’écrivaine y évoque les atermoiements de sa passion naissante pour le compositeur : « Je crois que notre amour ne peut durer que dans les conditions où il est né, c’est-à-dire que de temps en temps, quand un bon vent nous ramènera l’un vers l’autre, nous irons encore faire une course dans les étoiles et puis nous nous quitterons pour marcher à terre, car nous sommes des enfants de la terre et Dieu n’a pas permis que nous y accomplissions notre pèlerinage côte à côte.». Cela se passa tout autrement et les deux artistes vivront ensemble durant dix années « terrestres ». Alors rendons grâce à ce « bon vent » qui a permis au public lors de cette « Nuit Chopin » parfaitement orchestrée de partager avec les artistes et les organisateurs ces instants uniques où la musique et les mots du romantisme ont parlé au cœur.  

Devenue l’an dernier, dans l’euphorie de l’après confinement, un week-end entier, la Nuit Chopin a su conquérir un public qui désormais plébiscite cette formule. 

Rendez-vous est donc pris dès maintenant pour la Nuit Chopin 2022 qui aura lieu du vendredi 14 au dimanche 16 octobre.