15 Juin Affinités électives

Affinités électives
En ce week-end des 11 et 12 juin, le domaine de George Sand (Centre des monuments nationaux) a revêtu ses habits d’été pour accueillir la 56e édition du Nohant Festival Chopin.
Passion Chopin
Olivier Bellamy nous en fait l’aveu : il est amoureux. Pas de n’importe qui… De Chopin ! Et comme tous les amoureux, il illumine de sa passion la Bergerie-Auditorium où se déroule la causerie-rencontre animée par Jean-Yves Clément, à l’occasion de la parution de son Dictionnaire amoureux de Chopin. (Ed. Plon)
L’auteur nous fait le portrait de son bien-aimé. Chopin était un « classique d’école, de tempérament et de caractère, très perfectionniste, difficile à fréquenter même s’il était d’une politesse exquise – tout en étant capable de colères noires -. Dans son art, il avait une maîtrise totale de la forme et une expression qui pouvait aller jusqu’au délire. C’est pour cela qu’il est à part, d’où la difficulté à interpréter son œuvre ». Mais aussi : « C’est l’homme-piano, c’est l’âme du piano, c’est la vérité. Il écoute l’instrument, pas besoin de virtuosité, ni d’effet extérieur. Son mode intérieur se reflète dans l’instrument. Personne ne connait le piano aussi bien que lui. Lorsqu’il improvisait, il était à l’écoute de ses vertiges. » Voilà pour le portrait. En illustration, nous entendrons trois interprètes chers au cœur de Bellamy : tout d’abord, un enregistrement de Raoul Koczalski qui a bénéficié via son professeur des secrets de « première main » du compositeur, Rubinstein (venu au festival en son temps) pour son retour à la rigueur, Dinu Lipatti, pour son interprétation vivante et colorée. Défilent ensuite la cohorte des illustres, Cortot, Engerer, Goerner, Freire, Argerich et curiosité, en queue de peloton, Tino Rossi et Serge Gainsbourg « qui ont fait descendre le génie de Chopin dans la cour ». « Très bien si on la balaye après », tempère sotto-voce Jean-Yves Clément. « On est forcément amoureux de Chopin, conclut Bellamy, Il est l’étoile inatteignable. On aime Chopin et on s’aime en lui ». Chopin lui-même a-t-il été amoureux ? « Bien sûr, il l’a été honnêtement et sincèrement ».
On le sait, Bellamy est homme de conviction, c’est pour cela qu’on l’aime. Dans son dictionnaire, il égratigne quelque peu George Sand, un point qui n’a pas été soulevé lors de la conférence. Par délicatesse vis-à-vis de la maîtresse de maison, certes, mais n’oublions pas que nous sommes en terre de sorcellerie… Gare aux sortilèges !
Poésie
Le récital du soir accueille le pianiste polonais Rafal Blechacz. Médaille d’or du Concours Chopin de Varsovie en 2015, il vient pour la deuxième fois à Nohant puisque le festival en accueille le lauréat à chaque édition. Silhouette fine, revêtu de l’habit noir à queue de pie de la grande tradition pianistique, il s’installe au piano fébrilement, pressé de disparaître pour nous faire les honneurs de son programme musical. En première partie, trois œuvres en do mineur : la Partita n° 2 de Bach, puis la Sonate n° 5 et les variations Wo0 80 de Beethoven. En deuxième partie, après Prélude, Fugue et Variation de César Franck, il sublime la Sonate n° 3 en si mineur de Chopin.
Musicien exceptionnel, Rafal Blechacz met son classicisme au service de la poésie. Chez lui, rien ne pèse, tout est nuance, point d’éloquence, comme le prescrit Verlaine dans son Art poétique. Nous voilà dans le pur art musical, transportés avec l’artiste vers le royaume des âmes, loin de la pesanteur des temps. En bis, la Valse op. 64 n° 2 de Chopin.
Un amour de Proust
Le dimanche matin, nous voilà en visite chez Proust. Dans un exercice programmatique toujours très apprécié, Jean-Yves Clément nous dépeint un écrivain passionné de musique, cherchant dans son style à rivaliser avec la musique, citant 40 musiciens dans son œuvre, idéalisant l’amour de Swann pour Odette avec la fameuse « petite phrase de Vinteuil ». Qui plus est, un mélomane astucieux car bien avant Facebook live, il écoutera Pelléas avec son téléphone grâce à une installation spéciale sur la scène de l’Opéra.
Ce sont les frères Tchalik, Dania, le pianiste, et Gabriel, le violoniste qui vont faire revivre la psyché musicale de l’écrivain et de son temps. D’abord la Sonate en la majeur de César Franck, une œuvre lumineuse dédiée au violoniste Isaÿe pour son mariage, puis la Sonate en do majeur de Reynaldo Hahn, l’ami et l’amant de l’écrivain mais surtout un compositeur d’exception que l’on redécouvre aujourd’hui ; enfin la Sonate n° 1 en ré mineur de Saint-Saëns lequel a rendu ses lettres de noblesse à la musique de chambre française dominée jusque-là par l’allemande. Une musique tour à tour, rêveuse, charmeuse et enflammée, mais surtout libre et sans contrainte, à l’instar du jeu des deux artistes habités d’une énergie virtuose et communicative qui enchante l’auditorium. En bis, l’Elégie de Saint-Saëns.
Le jeu sous la glace
En clôture de ce deuxième week-end, le festival accueille le jeune pianiste russe, Dmitry Shishkin, Médaille d’argent 2019 du prestigieux concours Tchaïkovski (derrière Alexandre Kantorow venu en récital et devant Sergei Redkin « en résidence » au Festival pour y suivre l’enseignement d’Yves Henry).
Très mince, de noir vêtu, d’une raideur impeccable, il propose en première partie deux œuvres de Rameau puis Cinq sonates de Scarlatti, suivies de la Sonate-fantaisie n° 2 de Scriabine dans laquelle il excelle. Le grand large est fait pour lui. Puis voici Chopin : d’abord la Ballade n° 1, puis le Scherzo n° 2. Si à l’origine, scherzo veut dire « plaisanterie » et que ceux de Chopin ne rigolent pas vraiment (« des danses enfiévrées qui semblent rythmer l’âpre ronde des tourments humains »), Shishkin d’une main qui ne faiblit pas, nous conduit directement en enfer. Mais comme l’écrit Bergson, « L’enfer a du talent ». Le Nocturne op 9 n° 3 nous offre un léger répit avant une Polonaise puissamment Héroïque. Soutenue par une technique époustouflante, les interprétations très personnelles de l’artiste enflamment le public qui en redemande.
Bientôt
Les samedi 18 et dimanche 19 juin, Claude Hagège nous dira si l’on peut vivre sans musique et même si l’on connait la réponse, ce sera un plaisir de venir écouter ce maître des mots ; sous les doigts de Mikhaïl Pletnev, Chopin et Scriabine rivaliseront dans un récital comparé de leurs Préludes, tandis qu’en tremplin-découverte, le jeune pianiste Leonardo Pierdomenico alternera sonates et impromptus de ces deux compositeurs. Et pour clore le week-end, une pépite jamais donnée à Nohant : l’intégrale des Mélodies de Chopin que nous fera découvrir un duo talentueux, la soprano Raquel Camarinha et le pianiste Yoan Héreau.