02 Août Compte-rendu de la semaine du 20 au 26 juillet 2023
COMPTE-RENDU SEMAINE DU 20 AU 26 JUILLET
Souvenirs d’un lieu cher
Au domaine de George Sand, après quatre week-ends en juin, la 57e édition du Nohant Festival Chopin s’est poursuivie du jeudi 20 au mercredi 26 juillet sur le thème « Les voyages de Frédéric Chopin ». Traditionnellement dédiée à l’œuvre du compositeur, la semaine s’est achevée avec la célébration du 150e anniversaire de la naissance de l’un de ses héritiers, Sergueï Rachmaninov.
Yves Henry, le président du Festival, Sylviane Plantelin, la vice-présidente et Jean-Yves Clément, le conseiller musical et littéraire, remercient chaleureusement artistes, public, mécènes, équipes et médias ainsi que tous ceux qui ont contribué au succès de cette remarquable édition.
Jeudi 20 juillet
Chopin version US
La pianiste américaine Claire Huangci a accepté de venir en récital à Nohant remplacer Alexander Gadjiev malheureusement souffrant. Sitôt installée au piano, l’artiste déroule sans faiblir un programme « tout Chopin », quatre Nocturnes, puis les Ballades n° 2 op. 38 et n° 1 op. 23 suivies de l’Etude op. 10 n°12 « Révolutionnaire » . Après l’entracte ce seront les 24 Préludes op. 28. Avec une virtuosité et une énergie sans limite, l’artiste délivre efficacement l’essentiel du discours. En bis, un magistral Scarlattisera suivi d’une Marche Turque « fantaisie » pleine d’entrain dans la version d’Arcadi Volodos qui enchante le public.
Vendredi 21 juillet
Le son de Chopin
Pour la première de ses quatre classes de maître, Yves Henry est accompagné de la nouvelle promotion des pianistes en résidence : la polonaise Joanna Goranko, présélectionnée pour le 2e Concours Chopin de Varsovie sur piano d’époque en octobre prochain, et les japonaises Maya Nagakura, lauréate du Nohant Festival Chopin Piano Competiton in Japan et Yuka Fukuda, brillante étudiante de l’Ecole de musique Alfred Cortot.
Nouveauté de cette édition, les masterclasses et conféences quittent le Théâtre Maurice Sand pour investir la chapelle des Capucins de l’ancien hôpital de La Châtre où l’attend une autre nouveauté : un piano Pleyel de 1844 dont la restauration vient tout juste de s’achever. En raison de l’affluence, l’on rajoute des chaises puis Yves Henry attaque le thème de la matinée : comment retrouver le son de Chopin sur un piano moderne ? En effet, en « alchimiste sonore », Chopin composait au son d’un Pleyel identique à celui qui trône en ces lieux. Pendant plus de deux heures, les jeunes pianistes illustrent la séquence tandis qu’à l’aide de la partition projetée à l’écran, Yves Henry explique les pièges de la pédale chopinienne qui fait relâche en plein milieu d’une mesure ou au contraire se maintient au moment même où le pianiste serait tenté de caser une respiration. Côté public, les têtes de classe déchiffrent les notes et les pianotent dans l’air tandis qu’admiratifs, les novices découvrent un continent musical jusqu’alors insoupçonné.
Chopin en Angleterre
L’après-midi même, Jean-Jacques Eigelginger, « Monsieur Chopin » pour le monde musical, nous conte par le menu le dernier voyage de Chopin. Réfugié en Angleterre pour cause de Révolution de 48, Chopin doit gagner sa vie. Il découvre les milieux aristocratiques anglais – notamment sa pingrerie -, se frotte à l’ère industriel de la machine, ce qui ne lui plait pas plus que ça, et donne des concerts dans des salles de 1 500 places, ce qui n’est pas du tout sa tasse de thé. Chopin ne compose plus. Bref, ce voyage est une tragédie pour l’artiste au regard de son état moral et physique. Dans sa correspondance emprunte de désespoir, il garde un soupçon d’humour en écrivant à son ami Fontana qu’ils sont « deux vieux cymbalums dont les cordes sont cassées et le luthier mort… ». Stanislas D’Arpentigny adepte de la « chirognomonie » (l’étude des caractères par les mains) écrit : « Le charme de son talent procédait de la souffrance », une belle épitaphe pour un artiste si génialement humain.
Respiration chambriste
Le soir, l’auditorium accueille le Trio Metral : au piano Victor Metral, au violoncelle, Laure Hélène Michel et au violon Nathan Mierdi. La valeur n’attendant pas le nombre des mesures, nous savons dès les premiers accords que nous allons passer une excellente soirée. Au programme, le Trio de Chopin op. 8 – une rareté à Nohant – puis deux chefs-d’œuvre : les Trios de Mendelssohn n° 2 op. 66 et Elégiaque n° 1 de Rachmaninov. Avec une connivence et un équilibre exceptionnels, les trois artistes dialoguent. Avec eux, la musique vit : on s’aime, on se fâche, on se réconcilie, on se poursuit, on se concurrence et quand tout finit bien, on s’harmonise. Ravi de cette respiration chambriste entre deux récitals de piano, le public en redemande et ce sera un brillant final d’un Trio de Haydn.
Samedi 22 juillet
Romantisme nature
Très couru des festivaliers, l’impromptu musical et littéraire se déroule en plein air devant la maison de George Sand. Dame nature y est évoquée grâce aux textes choisis par Danielle Bahiaoui, de deux célèbres écologistes avant l’heure : George Sand et Colette, le tout ponctué des musiques de Chopin. « Il n’y a rien à jouer, nous disent les jeunes comédiens, Juliette Malfray et Diego Collin, tout est là, dans ces textes et la magie des lieux. ». Le public tombe sous le charme de cette alchimie romantique.
Con anima
Pour la première fois à Nohant, le pianiste allemand Joseph Moog interprète les trois Sonates de Chopin. Beau défi pour un pianiste qui en maître hors pair de l’harmonie transforme ces sonates en véritables symphonies. « Pour jouer Chopin, dit-il, il faut être toujours actif et créatif. Pas de note sans un sens. On joue Chopin avec l’âme.». Doté d’un jeu ardent, subtil et profond, l’artiste nous donnera à entendre ces trois chefs-d’œuvre au summum de leur interprétation. Extatique, le public ovationne Joseph Moog qui lui offrira cinq bis à la mesure de sa générosité et de son immense talent : la 1ère Barcarolle de Fauré, Au bord d’une source de Liszt, un arrangement personnel d’un Song de Gershwin, un Tango de Rodriguez revu par C. Katsaris puis un Nocturne de Chopin op. 15 n° 2.
Dimanche 23 juillet
Un dimanche marathon se prépare : trois récitals de piano seront suivis d’une balade nocturne dans le Parc du domaine avec les Gâs du Berry.
Ambiance marine
Le matin, le tremplin-découverte accueille Yuki Kinouchi, la « vice-lauréate » du Prix Cortot juste derrière Hyuk Lee qui déjà programmé au Festival l’après-midi en sa qualité de récipiendaire du Prix Marguerite Long 2022, a raflé également le Prix Cortot 2023. Intimidée mais pianistiquement sûre d’elle, cette jeune fille sérieuse propose un programme original présenté avec verve et érudition par Jean-Yves Clément : la Suite Holberg de Grieg, « un pastiche très réussi à la manière du 18e siècle, très différent du reste de l’œuvre de Grieg qui, selon les propres mots de Claudio Arrau, doit sentir la morue ». En réponse à l’indignation rigolarde du public, il précise qu’il s’agit « d’une image pour évoquer les embruns et le grand large ». Puis ce seront deux extraits des Goyescas de Granados, la Mort et l’Amour, deux œuvres prémonitoires puisque le compositeur « mourut en mer en secourant sa femme » suivies des « lascives et remarquables » Baigneuses au soleil du régionaliste Séverac. Enfin, quatre Mazurkas de Chopin nous ramèneront sur la terre ferme. Parcours sans faute de Yuki Kinouchi dont le public apprécie la clarté et la fraîcheur du jeu dans un répertoire rarement joué à Nohant. En bis, une petite pièce de Séverac.
De Novgorod à Nohant
A 16 heures, récital du pianiste coréen Hyuk Lee, le double récipiendaire du Prix Long-Thibaud et du Prix Cortot, dans un programme ambitieux : en première partie, les Six moments musicaux op. 16 puis la Sonate n° 2 op. 36 de Rachmaninov ; en deuxième partie, ce sera Chopin avec tout d’abord la Grande Polonaise brillante op. 22 précédée de l’Andante spianato, et enfin la Sonate pour piano n° 3, op. 58. Pianiste engagé et solaire, étoile montante de la galaxie pianistique, Hyuk Lee allie la virtuosité à une maîtrise de la dramaturgie rare pour un jeune homme de 23 ans dont le jeu percussif déchaîne l’applaudimètre. En bis, ce seront le Nocturne posthume et la Polonaise « héroïque » de Chopin puis un Prélude de Rachmaninov.
Baptême du Pleyel 1844
Le soir, changement de génération avec Alexei Lubimov, mémoire vivante de l’enseignement d’Heinrich Neuhaus. Sur scène, le Pleyel 1844 est inauguré par un Scherzo n° 1 op. 20 de Chopin déroutant dans les graves et sublime dans le cantabile. Puis sur le piano Bechstein, ce sera Brahms avec les Sept Fantaisies op. 116 suivies des Six pièces pour piano op. 118 dédiées à Clara Schumann dont le vibrant Intermezzo n° 2 ; puis Chopin sera de retour sur le Pleyel avec le Prélude op. 45 en do dièse mineur et la Barcarolle op. 60. Très ému, Alexei Lubimov terminera son récital avec Mozart sous les applaudissements chaleureux d’un public touché au cœur par le jeu délicat et nuancé d’un homme à l’automne de sa vie mais nullement de son art. En bis, un Nocturne posthume de Chopin
Lundi 24 juillet
Chopin et Clara Schumann
« Personne ne joue ma musique comme elle » aurait dit Chopin à propos de Clara Schumann qu’il rencontrera à Leipzig en 1831 puis en 1832 comme nous l’apprend la musicologue Brigitte François-Sappey. Invitée à plancher sur le thème : « Clara Schumann – Frédéric Chopin, le nouvel âge poétique », elle nous raconte l’ « icône romantique » que fût Clara en son temps et comment elle défendra durant toute sa carrière les œuvres de Chopin. Un regret toutefois : Clara n’est jamais venue chez George Sand à Nohant, ces deux femmes artistes et avant-gardistes auraient eu pourtant des choses à se dire !
Les groupies du pianiste
Le soir, une cohorte de fans enthousiastes attend son idole : le pianiste polonais Janusz Olejeniksak, l’un des grands habitués du Festival. Celui qui fut en son temps le plus jeune lauréat du Concours Chopin de Varsovie et qui a enregistré la bande son du film « Le Pianiste », nous propose, comme il se doit, un programme Chopin : en première partie des Nocturnes, les Ballades n° 1 op.23 et n° 4 op. 52, un choix de Mazurkas et le Scherzo n° 2 op. 31. En deuxième partie, ce sera la Sonate n° 2 dite Funèbre. En bis après avoir joué une Valse sur le Pleyel 1844, ce sera la Polonaise dite « Militaire » op. 40, victime d’une collision digitale en son milieu, immédiatement absoute par le public de Nohant qui aime vraiment les artistes y compris leurs défaillances d’un instant.
Mardi 25 juillet
Espaces imaginaires
Sur le thème « Les voyages intérieurs de Chopin et de Rachmaninov », l’écrivain et critique musical Alain Lompech nous raconte en compagnie de Jean-Yves Clément les destins croisés de deux exilés, Chopin et Rachmaninov. Si le premier composa l’essentiel de son œuvre en exil, le second cessera quasiment de composer peu après son départ de Russie pour se consacrer à une carrière de pianiste virtuose. Restent quelques grandes œuvres « américaines ». Sur Rachmaninov, le critique musical nous donne quelques pistes : un puritain avant-gardiste qui a aimé l’Amérique et le jazz ; sa musique est celle du 21e siècle. A propos de Chopin, il jette un pavé dans la mare de cette aimable causerie : « Chopin n’est pas polonais ! dit-il. Son père étant français, selon une loi de l’époque, il est français. Il n’aura d’ailleurs qu’un passeport français qu’il fera renouveler peu de temps avant sa mort. » Avant qu’une guerre n’éclate entre la France et la Pologne, mettons tout le monde d’accord en citant le principal intéressé qui écrit depuis Nohant : « Je suis toujours d’un pied avec vous à Varsovie, de l’autre ici à côté de la pièce où travaille la maîtresse de maison (George Sand) et comme toujours nulle part, dans mes espaces imaginaires ».
La musique du cœur
Le soir, en présence de l’arrière petite-fille du compositeur, Alexandra Conus Rachmaninoff, hommage est rendu à Sergueï Rachmaninov par deux passionnés : les pianistes Fanny Azzuro et Guillaume Vincent. En première partie, beau récital de Fanny Azzuro, une artiste très appréciée du Festival depuis ses débuts, qui interprète admirablement avec un jeu clair, engagé et sans maniérisme, l’intégralité des Préludes de Rachmaninov. En deuxième partie, assuré et percutant, le surdoué Guillaume Vincent donnera la Sonate n° 2 de Chopin dite Funèbre puis la Sonate n° 2 op. 36 de Rachmaninov qui emportera les suffrages du public. Un quatre mains d’anthologie réunira les deux artistes dans une œuvre injustement peu donnée : les Six morceaux de Rachmaninov. Selon le compositeur, « la musique doit venir du cœur pour aller au cœur ». Objectif plus qu’atteint !
Mercredi 26 juillet
La garde montante
La 57e édition du Festival se referme avec un concert très attendu du public : le récital donné par les trois jeunes pianistes en résidence, cette année, une promotion féminine particulièrement studieuse et brillante. Chacune à leur tour, Joanna Goranko, Maya Nagakura et Yuka Fukuda interprètent des œuvres de Chopin perfectionnées lors des masterclasses d’Yves Henry. Le concert s’achève sur un « six mains » romantique, un extrait des Pièces op. 11 de Rachmaninov, symbolisant la naissance d’une belle amitié entre les jeunes artistes.
A l’année prochaine !
Pour terminer quelques dates à retenir en 2024 : Le lancement parisien de la 58e édition du Festival aura lieu le jeudi 7 mars Salle Cortot. Le Festival aura lieu à Nohant tous les week-ends de juin à partir de celui du 8 juin puis une semaine du 18 au 24 juillet.
Post-scriptum
Si le Festival « dans les murs » au domaine de George Sand est terminé, la saison Hors les murs continue avec des récitals de piano au Domaine des Dryades à Pouligny-Notre-Dame (samedi 12 août) et sous la halle de Saint-Août (dimanche 27 août), puis une série de récitals Chopin sur piano d’époque au Château de Bouges (vendredi 15 septembre) et au théâtre du Château de Valençay (samedi et dimanche 16 et 17 septembre).
(Informations horaires et réservations à retrouver sur ce site).