COMPTE-RENDU WEEK-END 10 et 11 JUIN 2023

COMPTE-RENDU
WEEK-END 10 et 11 JUIN 2023

Les météores

Le week-end des 10 et 11 juin, la deuxième étape des « Voyages de Frédéric Chopin » du Nohant Festival Chopin initiée par Yves Henry, le Président du Festival, et Jean-Yves Clément, le conseiller musical et littéraire, s’annonçait prometteuse avec un parcours-découverte hors norme de la jeune planète pianistique allant de la Russie au Japon en passant par l’Ukraine.

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Le bonheur d’être triste

Samedi après-midi, le public de Nohant est venu nombreux recueillir la parole d’Alain Duault écrivain et poète, grand passeur de musique devant l’éternel et qui fut aussi président du Festival de 1995 à 2010. Sur le thème « Chopin, Rachmaninov, l’exil et la mélancolie », il esquisse, de la nostalgie au deuil en passant par la mélancolie, le nuancier des états d’âme qui imprègnent le romantisme. Et au plus haut point, les œuvres de Chopin et de Rachmaninov dont l’écrivain nous déroule les destins croisés, exilés qu’ils ont été l’un et l’autre de leur pays natal à l’instar d’un éden. Le premier quittera définitivement à 20 ans la Pologne et trouvera à Nohant, grâce à George Sand, le havre de paix qui lui permettra de composer ses plus grands chefs-d’œuvre ; le second partira de Russie à 44 ans, emportant dans ses malles ses partitions les plus abouties pour s’adonner ensuite à une carrière de pianiste virtuose. Parmi les illustrations sonores, nous entendrons le Larghetto du Concerto n° 2 de Chopin, le Prélude n° 1 et le début du 2e Concerto de Rachmaninov ainsi que sa célébrissime adaptation du Vol du Bourdon, ces trois derniers extraits interprétés par le compositeur en personne. En guise de conclusion, Alain Duault nous livre un adage de Victor Hugo : « la mélancolie, c’est le bonheur d’être triste », un bonheur largement partagé de nos jours puisque sa révélation en musique notamment continue à faire vibrer la part immuable et universelle de l’âme contemporaine.

Alexander Malofeev, un génie singulier

Samedi soir, le Festival accueille Alexander Malofeev, un pianiste russe de 21 ans en exil, lui aussi, à Berlin. Génie du piano, formé à l’école russe Gnessin pour surdoués, il a remporté à 13 ans le Prix Tchaïkovski pour jeunes artistes. Le programme est ambitieux. En première partie, le deuil s’impose avec la Sonate n° 14 dite « Clair de lune » de Beethoven puis la Sonate n° 2 dite « funèbre » de Chopin. Sous les doigts de l’artiste, la Clair de lune nous parvient sublime, parfois étonnamment déstructurée tandis que la Marche Funèbre de Chopin s’enfonce puissamment dans les ténèbres. Doté de qualités pianistiques hors normes, Malofeev s’autorise un maniérisme diablement séduisant. Après l’entracte, le répertoire russe s’impose avec un exceptionnel Prélude et Nocturne pour la main gauche op. 9 de Scriabine, puis l’Elégie op. 3 n° 1 et le Prélude op. 3 n° 2 de Rachmaninov dont les cloches sonnent à toute volée, préludant à l’ouverture titanesque du Tannhaüser de Wagner transcrite par Liszt. C’est époustouflant d’ampleur et de virtuosité. Suspendu au jeu de l’artiste, le public en apnée depuis le début du récital, prend conscience qu’il vient de vivre un moment exceptionnel et ovationne à hauteur de l’événement le jeune artiste qui avec générosité vient de lui faire partager son immense talent. Pour terminer, il exécute trois bis, deux pièces de Medtner et la rugissante Toccata de Prokofiev  qui sous ses doigts déchaînés atteint des sommets d’expressivité !

Danylo Saienko, l’intransigeant

Le tremplin-découverte du dimanche matin accueille Danylo Saienko, un pianiste ukrainien réfugié en France, lauréat du Premier Prix et du Prix spécial Nohant Festival Chopin au Concours international d’Ile-de-France. Jean-Yves Clément commence la présentation du récital par un mea culpa : suite à un emballement numérique, les œuvres indiquées dans le livre-programme ne sont pas les bonnes. Bon joueur, le public s’en amuse, et plus encore quand Jean-Yves Clément lui fait réciter par cœur le programme qui sera joué. Exceptionnellement, il n’y aura pas de Chopin. Toutefois, à y regarder de près, il s’agit presque du « tombeau » du compositeur : en ouverture, Prélude et Fugue de Bach, puis la Sonate n° 18 de Mozart, deux compositeurs que Chopin vénérait profondément, l’une et l’autre œuvres noblement interprétées par l’artiste. Puis le ton monte d’un cran. Danylo est un pianiste puissant qui n’aime ni la complaisance, ni la facilité. Se suivent Prélude, Choral et Fugue de César Franck, une œuvre interprétée avec puissance suivie de deux Études et Préludes du compositeur-pianiste polonais Ignaz Friedman. Avant de conclure par Gaspard de la Nuit de Ravel, grand admirateur de Chopin, qui voulait, nous a prévenu Jean-Yves Clément, que son « Scarbo » soit plus difficile à jouer que la Mephisto Walz de Liszt et qu’Islamey de Balakirev. Pari réussi par le compositeur et haut la main par l’interprète chaleureusement encouragé par un public néanmoins satisfait de retrouver quelques minutes de Chopin en bis  suivies d’une Goyescas de Granados.

Mao Fujita, la sensibilité à fleur de touche

L’après-midi, en clôture de ce deuxième week-end, c’est au tour du jeune pianiste japonais Mao Fujita, 24 ans, de prendre place devant le magnifique piano de concert Bechstein. Lauréat du prestigieux Prix Haskil et de la Médaille d’argent du Prix Tchaïkovski, le jeune artiste fréquente déjà les plus grandes scènes internationales. La première partie est consacrée aux sept grandes Polonaises de Chopin dont l’Héroïque et la Polonaise-Fantaisie à laquelle Mao Fujita confiera savamment les nuances les plus exquises de son art. En deuxième partie, sous les doigts du virtuose, la lumière divine s’échappera subtilement de la Sonate de Liszt et viendra illuminer la mélancolie, la nostalgie et le deuil d’un week-end exceptionnel qui nous aura donné à entendre trois jeunes passeurs du répertoire, très différents les uns des autres mais merveilleusement talentueux. Après une standing ovation bien méritée, Mao Fujita saluera le public les mains jointes sur le cœur et le remerciera de l’arachnéenne Étude op. 25 n° 1 de Chopin suivie d’un court Prélude de Prokofiev.

Nota Bene
A la rentrée sur la chaîne Arte, les festivaliers pourront retrouver, dans le cadre de l’émission « L’Invitation au voyage », le reportage réalisé par Miri Paturel et Neal Mc Ennis qui nous ont accompagnés durant tout ce week-end.

A suivre
Samedi 17 juin 
16 h : causerie-rencontre avec l’écrivain Sylvain Fort auteur de l’ouvrage « La musique souvent nous prend comme une mer », l’une des plus belles plumes au service de la musique.
20 h 30 : François-Frédéric Guy dans un récital associant Chopin et Beethoven dont il est le spécialiste incontesté.
Dimanche 18 juin
11 h : tremplin-découverte de la mezzo-soprano Victoria Shereshevskaya accompagnée au piano par la pianiste et pédagogue Rena, sa mère.
16 h : Jean-Baptiste Fonlupt dont la carrière internationale est en plein essor et qui revient à Nohant pour un récital éminemment romantique consacré à Schumann, Chopin et Liszt. Son dernier enregistrement a été auréolé d’un Diapason d’or du magazine éponyme.
Informations et réservations sur festivalnohant.com et au 02 54 48 46 40.