
02 Juil Des génies, des canons et des fleurs
Compte-rendu du 4e week-end du Nohant Festival Chopin 2021
Des génies, des canons et des fleurs
Samedi 26 juin, belle introduction au week-end avec la projection du documentaire de Bruno Monsaingeon sur des jeunes prodiges avant qu’ils ne soient entrés dans la carrière. On retrouve à leurs débuts le pianiste Zoltan Kocsis âgé de 18 ans, capable de restituer au piano le répertoire classique – y compris symphonique – du 12e siècle à nos jours (!). Puis Gilles Apap, rayonnant, qui fait chanter en chœur sa masterclasse d’apprentis violonistes. Et encore le pianiste Francesco Libetta à toute virtuosité dans une œuvre d’Alkan sans oublier le violoniste Valeriy Sokolov prodigieux dans le final du Concerto de Sibelius. Le réalisateur conclut par une séquence sur son patient favori, Glenn Gould, qui recroquevillé sur son clavier, se réincarne en Partita. A chacun de ses films, Bruno Monsaingeon nous conduit aux portes du génie. Une mise en condition bienvenue ce jour-là vu ce qui nous attendait le soir même.
En effet, entre contraintes sanitaires et artistes souffrants, cette 55e édition procure quelques péripéties aux organisateurs. Une deuxième défection d’artiste pour le grand récital du samedi soir, celle de Nicholas Angelich, contraint le Festival à modifier une nouvelle fois sa programmation. Pas simple, Nicholas Angelich est très attendu. Toutefois, nous sommes en terre de sorcellerie où pour peu qu’on les aide, les miracles opèrent : sollicité par la direction du Festival, le légendaire pianiste croate Ivo Pogorelich accepte de venir à Nohant. Rappelons qu’il fut le 1er artiste invité en 1995 par Yves Henry et Jean-Yves Clément, qui prenaient cette année là les rênes de la direction artistique du Festival. C’était il y a plus de 25 ans, et ça crée des liens !
Le soir du concert, devant la Bergerie-Auditorium du Domaine de George Sand, la pression monte. En avance, un public nombreux fait la queue dans la cour. Le pianiste passe anonymement en tenue de répétition, bonnet rouge sur la tête et ceinturé d’un chapelet de vestes de jogging. Le public s’installe dans la salle. Puis, après une courte attente, le maestro apparaît sur la scène, superbe dans une tunique blanche à plastron surmontée d’un nœud papillon. Les applaudissements crépitent respectueusement. Le public a le trac : il a laissé son ego au vestiaire et se demande s’il sera à la hauteur de l’événement. Caractéristique de l’artiste, il ne joue qu’avec la partition et Yves Henry, le Président du Festival, s’est arrogé le privilège – que nul ne lui disputera -, d’être le tourneur de page du maestro, donc aux premières loges de sa technique qu’il qualifiera ensuite d’époustouflante. Le programme est dédié aux œuvres de Chopin composées à Nohant : la Sonate n° 3 en si mineur, la Berceuse en ré bémol majeur, la Polonaise Fantaisie en la bémol majeur et la Barcarolle en fa dièse majeur. L’auditorium a résonné de ces « classiques » des milliers de fois mais jamais de cette façon-là. Sur scène, Ivo Pogorelich se permet tout. Et même de réinventer au fil de son inspiration un Chopin inédit. Aux crescendos déchaînés et guerriers, succèdent des mélodies à couper le souffle qui s’éteignent doucement sous les mains du pianiste en laissant traîner derrière elles l’effluve de leur beauté. C’est tour à tour déroutant et magique. Satisfait du public, Ivo Pogorelich lui offrira une œuvre non prévue au programme : la Fantaisie en fa mineur. Impressionné et sonné, le public applaudit chaleureusement et reçoit en retour le sourire lumineux et rapide du guerrier vainqueur qui a tout donné au combat et ne s’épuisera pas en vanités. Après pareille démonstration, le mystère du génie semble s’éclairer : la liberté est l’un de ses apanages. Au sortir de ce concert qui se situe dans le droit fil de ceux qui ont marqué les grandes heures du piano, le public se rassure en échangeant des avis sur ce qu’il vient d’entendre. Tandis que loin de cette agitation, Ivo Pogorelich s’éclipse discrètement dans la douceur du soir nous laissant en mémoire son prodigieux talent.
Le dimanche signe un retour contrasté et bienvenu à la simplicité avec les récitals de deux jeunes artistes talentueux : le matin, la violoncelliste Astrig Siranossian en duo avec Yves Henry au piano et l’après-midi, le pianiste Sélim Mazari.
Jean-Yves Clément présente la séquence qui réunira les sonates pour violoncelle et piano de deux compositeurs français : la n° 1 en do mineur de Saint-Saëns et une transcription pour violoncelle de la Sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck. Deux œuvres contrastées : à la tragédie guerrière désespérée de Saint-Saëns répond une ode à l’amour et à la poésie de César Franck, dédiée à Eugène Isaÿe pour le jour de son mariage. Une présentation savante et toujours très appréciée du public que Jean-Yves Clément conclura en osant un calembour de Jean Yanne, qui aurait peut-être du mal à trouver son public aujourd’hui : « Mieux vaut avoir l’âge de ses artères que l’âge de César Franck ». Rires de la salle.
Retour à la musique avec sur scène Astrig Siranossian au violoncelle et Yves Henry au piano. Grand moment d’enchantement musical avec des artistes à l’harmonie parfaite et qui jouent à armes égales. Nous revisitons avec eux deux magnifiques œuvres du répertoire français qui nous font passer de l’ombre à la lumière, de l’angoisse à la sérénité, avec en point d’orgue, la romantique andante de la Sonate de Saint-Saëns qui sonne si parfaitement dans l’auditorium. L’interprétation d’Astrig Siranossian est profonde, directe, inspirée et remplie d’une infinie grâce poétique (*). En bis, le duo conclut son récital par une œuvre de Nadia Boulanger en hommage au style avant-gardiste de la compositrice et à la générosité de la pédagogue.
Le dernier récital du week-end nous permet de retrouver le pianiste Sélim Mazari, un jeune habitué du Festival dont il a franchi brillamment le cursus, d’abord en résidence, puis en tremplin-découverte et ce dimanche-là, en récital-révélation. Après une parfaite Sonate n° 9 de Mozart venue directement de Vienne où l’artiste poursuit sa formation, il interprète la Barcarolle de Chopin. Cette « mystérieuse apothéose » selon Ravel, inspirée du chant des gondoliers, a fait sombrer plus d’un pianiste dans le grand Canal tant son interprétation en est complexe. Celle de Sélim Mazari ce dimanche-là nous ravit, pleine qu’elle est de toute la sensibilité requise par cette œuvre mélodique, ondoyante et délicate. En deuxième partie, changement de décor avec la Sonate n° 6 de Prokofiev dite « guerrière ». Mon voisin de concert qui « suit » le jeune artiste depuis qu’il a 14 ans, me rassure : il a la technique pour la jouer ! Effectivement le jeune artiste nous tient en haleine de bout en bout ! Sélim Mazari n’est jamais aussi bon que lorsqu’il se laisse aller à son talent. En bis, il nous offre un air de Cavalleria Rusticana de Mascagni. La salle communie et ma voisine de concert se met à chanter
(Important : le Festival reprendra le vendredi 9 juillet pour une semaine complète jusqu’au jeudi 15 juillet – Programme détaillé sur le site)
(*) Dans la rubrique « Du côté de chez George », les sources d’inspiration littéraires d’Astrig Siranossian : https://festivalnohant.com/du-cote-de-chez-george-avec-la-violoncelliste-astrig-siranossian/


