21 Juil Nohant Festival Chopin2021- Compte-rendu semaine du 9 au 15 juillet
Nohant Festival Chopin2021- Compte-rendu semaine du 9 au 15 juillet
Non plus ultra
Vendredi
La passion selon Andrei Korobeinikov nous entraîne à tire d’aile dans un par-delà Chopin-Schubert bienvenu en ces temps recroquevillés. Rien n’est joli… Tout est sublime ! Quel pianiste ! s’enflamme le public. Quelle musique ! répond le pianiste.
On en oublierait presque qu’il a été appelé en dernière minute pour remplacer le jeune Charles Richard-Hamelin (2e grand Prix du Concours Chopin de Varsovie 2015), retenu au Canada en raison des contraintes sanitaires.
Samedi
Dès 10 heures, première des quatre masterclasses publiques sur piano Pleyel de l’époque de Chopin et Bechstein d’aujourd’hui. Nous faisons connaissance avec deux des trois jeunes solistes en résidence : Elian Ramamonjisoa et Tsubasa Tatsuno. Piotr Alexewicz qui vient de Varsovie n’arrivera que plus tard, faute à un avion capricieux… Yves Henry qui dirige ces masterclasses donne le ton : bienveillance avant tout mais exigence surtout, sont les maîtres mots.
Dans le parc de la Maison de George Sand, deux comédiens en herbe, mais une herbe déjà haute, Clara Vaude et Tristan Le Doze interprètent avec fougue la correspondance Sand-Flaubert. « Nous passons comme des ombres sur un fond de nuages que le soleil perce à peine et rarement, et nous crions sans cesse après ce soleil qui n’en peut. C’est à nous de déblayer nos nuages » explique la romancière à son ratiocinateur de troubadour. Le lendemain, la pluie tombera dru sur le Berry et les artistes du Festival balaieront les nuages.
Une heure plus tard, lors du récital du soir, le visage rayonnant d’Emmanuelle Bertrand et les regards complices qu’elle échange avec le pianiste Pascal Amoyel (1) transcendent la profondeur des superbes pages pour violoncelle et piano de Fauré, Saint-Saëns et Brahms. Ce duo d’exception à la ville comme à la scène depuis 20 ans emmène le public jusqu’au largo de la Sonate de Chopin qui remporte la palme de l’émotion. En bis, Rachmaninov
Dimanche
Une journée haute en musique se prépare. Le pianiste Qing Li, lauréat du Prix Cortot 2020, propose un programme « tout Chopin » dont la Polonaise-Fantaisie et le Scherzo n° 3 estampillés par Jean-Yves Clément, comme « les plus beaux chefs-d’œuvre du Maître ». « Un scherzo, c’est fait pour s’amuser ; avec celui de Chopin, prévient le conseiller musical et littéraire du Festival, ça ne rigole pas, on est en enfer ». Beau parcours de Qing Li, salué chaleureusement par le public et intronisé à la sortie par l’expert mondial de Chopin, Jean-Jacques Eigeldinger, qui félicite le jeune artiste pour l’excellence de son interprétation.
L’après-midi, hommage est rendu à Pauline Viardot dont le bicentenaire de la naissance sert de fil rouge au Festival. Les voix d’Iryna Kyshliaruk et de Cyrielle Ndjiki Nya accompagnées au piano par la talentueuse Yun-Ho Chen se déploient magnifiquement jusqu’aux cimaises de l’auditorium. Donnés en duo ou en solo, les airs de bel canto de Bellini, Gounod, Chopin/Viardot, Catalani et Meyerbeer enchantent le public qui en redemande. Le récital s’achève par un irrésistible Duo des chats de Rossini
Après la grande scène de l’opéra l’après-midi, l’univers feutré d’un salon du 19e siècle nous attend avec le violoncelliste Fernando Caida-Greco et le pianiste Edoardo Torbianelli qui joue le Pleyel 1846 du Festival. Spécialistes de l’interprétation sur instruments anciens, les deux artistes nous offrent dans l’orthodoxie la plus parfaite les Sonates pour violoncelle et piano de Franchomme et Chopin dont voici le largo tel qu’il fût entendu à l’époque
Lundi
La semaine s’ouvre par une nouvelle masterclasse publique le matin avec Yves Henry qui en scoliaste de la partition chopinienne, y traque le moindre signe imperceptible au néophyte et souvent même aux interprètes. Les jeunes artistes en résidence au Festival assurent les travaux pratiques et, mesure après mesure, s’appliquent à interpréter chacune des nuances indiquées par le compositeur. L’exercice est complexe mais le maître toujours bienveillant et l’humour au rendez-vous. On découvre Piotr Alexewicz, dont le français pratiquement parfait facilite les échanges autour des partitions.
Le journaliste et écrivain Alain Lompech nous invite à plancher : existe-t-il une école française de piano héritière de Chopin ? De branche en branche, nous remontons la piste généalogique élèves et professeurs jusqu’à Chopin et Liszt, illustrée grâce aux enregistrements les plus anciens de pianistes qui ont vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. Conclusion : il y a autant d’écoles que de professeurs et d’interprétations que de tempéraments d’artistes. Une boutade à méditer: « La tradition n’est que la stratification des tics ».
Le soir, bal imaginaire à Nohant avec une soirée consacrée à l’Intégrale des Valses de Chopin données par Vittorio Forte. Sur le clavier, les mains de l’artiste virevoltent avec élégance en déroulant ces airs « indansables » qui n’ont de la valse que le rythme et la fragrance. En parfait maître de ballet, Vittorio Forte a un jeu aristocratique et le public tombe amoureux. Un bis qui n’est pas une valse cette fois, clôt cette soirée édifiante tant par les œuvres que le talent du pianiste.
Mardi
Nouvelle masterclasse le matin. On a pris le rythme et on attend désormais ce rendez-vous qui nous permet de constater la faculté d’adaptation incroyable des jeunes solistes pour lesquels le jeu sur le piano Pleyel 1845 agit comme un véritable révélateur. Ils entrent chaque jour un peu plus dans l’univers de Chopin et le public, souvent pris à témoin, se fait complice du professeur en se manifestant. Comme quoi, une masterclasse peut être interactive !
Le grand musicologue spécialiste de Chopin Jean-Jacques Eigeldinger (2) nous apprend que le compositeur avait des amis autres que Bach et Mozart. Focus sur quatre d’entre eux : Kalkbrenner, Pleyel, Viardot et Alkan, chacun à sa manière déterminant dans la carrière du compositeur. Evocation de la vie du compositeur au square d’Orléans, le « Nohant parisien », où tout ce beau monde se retrouvait. « Sans sortir de cette grande cour d’Orléans, bien éclairée et bien sablée, nous courons le soir des uns chez les autres, comme de bons voisins de province », écrit la voisine George Sand.
Si l’on ne peut pas savoir comment Chopin interprétait ses œuvres, ses Etudes en disent long sur son niveau d’exigence pianistique. La preuve par Vardan Mamikonian qui déroule excellemment l’intégrale de ces 24 redoutables diamants dont la fulgurance ajoute à la beauté. Une étude d’un autre pianiste compositeur (Moritz Moszkowski) donné en bis clôt cette soirée brillante et émouvante à la fois.
Mercredi
A l’instar d’une demi-cadence, le Festival propose une demi-clôture avec le « Concert des jeunes en résidence ». Le Français Elian Ramamonjisoa, le Japonais Tsubasa Tatsuno et le Polonais Piotr Alexewicz nous rappellent, chacun dans son style, que la musique de Chopin est un langage universel. En secret, cette nouvelle génération talentueuse a préparé une surprise pour le maître des masterclasses Yves Henry : la Sonate en ré majeur de Mozart pour 4 mains qu’ils offrent, deux à deux à tour de rôle, à un public enchanté.
14 juillet au soir, c’est la fête ! Un florilège d’artistes honore le triple anniversaire de Pauline Viardot, Saint-Saëns et George Cziffra, sans oublier celui de la révolution française. Place est faite à l’improvisation. Le pianiste Jean-Baptiste Doulcet émancipe le Cygne de Saint-Saëns tandis que Vassilis Varvaresos, toujours précis, virtuose et totalement engagé, revisite les thèmes les plus connus de Chopin avec un détour ingénieux par une Marseillaise bien trouvée. La violoncelliste Olivia Gay accompagnée au piano par Yves Henry délivre une Rhapsodie hongroise de Popper diaboliquement festive tandis que la soprano Axelle Fanyo calme le tempo avec trois Mélodies de Duparc et les Chansons de Bilitis de Debussy. En conclusion, le Hongrois Janos Balazs, en digne héritier de George Cziffra, interprète ses transcriptions époustouflantes des Danses de Brahms et de Strauss revisitées en son temps par le pianiste aux 50 doigts. Le tout sur piano de concert du facteur de pianos Pleyel dont la résurrection est en cours et qui méritait bien en ce jour symbolique, d’être à l’honneur.
Jeudi
Cadence plus que parfaite cette fois-ci avec l’un des plus grands pianistes au monde : Evgeny Kissin qui aime jouer à Nohant et propose au public un parcours musical allant de Berg à Chopin en passant par Khrennikov et Gershwin. Plus que ses mains, c’est le visage de l’artiste qui reflète le dialogue tumultueux qu’il établit entre le piano et des instances supérieures qui échappent au profane tandis qu’il nous délivre une musique connue mais jamais entendue. Tour à tour combat et communion, ce voyage initiatique digne d’Orphée nous envoûte. Le concert se termine par une interprétation magistrale de la Polonaise Héroïque de Chopin qui proclame avec une intensité rarement atteinte le triomphe du courage et de la lumière sur le malheur des temps. Selon Clara Haskil : « La musique ne s’apprend pas, elle se sait ». Evgeny Kissin « sait » la musique. Le public lui fait un triomphe et en retour, il lui donne quatre bis dont deux de Mendelssohn, un de Chopin et un Clair de lune de Debussy qui conclura la soirée d’anthologie d’un été enfin retrouvé.
C’est sur ces précieux instants d’éblouissement artistique que se referme l’album de la 55e édition du Nohant Festival Chopin. En cette période bousculée, terminons en remerciant les organisateurs, Yves Henry, Sylviane Plantelin, Jean-Yves Clément, toute l’équipe du Festival et les bénévoles pour leur détermination courageuse, le public et les partenaires pour leur fidélité enthousiaste et attribuons une mention spéciale à la galaxie d’artistes venus à Nohant cet été, qui grâce à leur talent, nous ont « montré la vie non telle qu’elle est, ni telle qu’elle doit être, mais telle qu’elle apparaît en rêve ». (3)
- Retrouvez Pascal Amoyel dans notre rubrique du Côté de chez George
- Jean-Jacques Eigeldinger vient de faire paraître un nouvel ouvrage « Chopin et ses amis ».
- Platonov d’Anton Tchekhov